Pédophilie dans l’Eglise : les victimes ajoutent une prière à l’édifice

Publié le par Evariste DJETEKE

Pédophilie dans l’Eglise : les victimes ajoutent une prière à l’édifice

Les associations ont réussi à mettre la question des abus sexuels commis par des prêtres catholiques sur le devant de la scène. Présentes à Rome pour le sommet historique sur le sujet, elles entendent peser sur le débat.

Grâce à l’appui d’un diplomate, Marek Lisinski a obtenu un accès direct au pape François. La rencontre a été brève, à peine quelques minutes, mercredi, lors de l’audience générale dans l’immense salle Paul VI, au Vatican, où étaient rassemblés plusieurs milliers de personnes. Pour Marek, c’était l’aboutissement d’années de recherches intenses, d’un long combat mené d’abord en solitaire. Au pape, Marek, le fondateur de N’ayez pas peur, une organisation de défense de victimes de prêtres pédophiles en Pologne, a remis un rapport circonstancié, mettant en cause plus d’une vingtaine de responsables catholiques dans son pays pour avoir couvert les agissements pédocriminels de clercs. L’enquête que Marek Lisinski a transmise au pape à Rome, a été rendue public, ce même jour, en Pologne.

Pour marquer les esprits, la statue de Henryk Jankowski, l’ancien aumônier de Solidarnosc, mort en 2010, a été, elle, déboulonnée, dans la nuit du 21 au 22 février par trois activistes. Ce prêtre est soupçonné d’actes de pédophilie, des pratiques qui auraient été largement connues de sa hiérarchie et de ses paroissiens. Pourtant, le diocèse de Gdansk refuse toujours d’ouvrir une enquête au sujet de Jankowski.

Persécutés

L’affaire est emblématique de l’omerta qui règne encore dans les derniers bastions catholiques d’Europe, comme la Pologne et l’Italie. Ailleurs, en Afrique ou en Asie, c’est encore plus grave. «A l’audience générale, le pape avait les larmes aux yeux quand il a rencontré Marek Lisinski. Il lui a embrassé la main», raconte Anna, son avocate qui l’accompagnait. Par ce geste, François a souvent l’habitude d’honorer ceux qu’ils considèrent comme des persécutés. Au-delà de l’hommage, le fondateur de N’ayez pas peur attend surtout du pape que les évêques mis en cause dans son rapport soient rapidement sanctionnés.

A Rome, plusieurs dizaines d’activistes, d’anciennes victimes de prêtres pédocriminels, des responsables d’associations comme Marek Lisinski prennent, ces jours-ci, la parole haut et fort tandis que la rencontre mondiale de lutte contre la pédophilie dans l’Eglise se tient à huis clos, derrière les murs du Vatican. Un sommet «off», en quelque sorte, qui révèle, de manière très concrète et assez inédite, l’ampleur mondiale des scandales sexuels qui frappent les institutions catholiques.

Ce samedi matin, sous l’égide d’ECA (Ending Clergy Abuse) une nouvelle ONG internationale de lutte contre les abus sexuels commis par des prêtres, ils organisent la première marche des survivors («survivants») (le terme anglo-saxon pour désigner les victimes), une marche pour réclamer la tolérance zéro dans l’Eglise. Symboliquement, les manifestants remonteront la via della Conciliazione, la grande artère qui mène à la place Saint-Pierre.

Un peu après, les deux cents évêques et cardinaux qui participent au sommet du Vatican se retrouveront, eux, à la basilique Saint-Pierre pour une liturgie pénitentielle ; ce qui, en jargon catholique, signifie une demande de pardon pour les péchés commis. Le signe peut-être que la honte a désormais changé de camp.

Capucin

Au Vatican, c’est le moment d’un face-à-face qui n’avait jamais eu réellement lieu, un face-à-face qui s’inscrit dans la réalité d’une proximité. A la fin de chaque conférence de presse des responsables du Vatican, des représentants d’ECA viennent, à leur tour, devant les grilles, commenter les travaux en cours… «Ce sont les associations de victimes qui ont fait vraiment bouger les choses dans l’Eglise. Sans elles, rien ne se serait passé», reconnaît volontiers, le père Stéphane Joulain, installé à Rome et l’un des meilleurs experts de la pédocriminalité au sein du catholicisme. Un nombre conséquent d’évêques et de cardinaux (en particulier ceux d’Afrique et d’Asie) découvrent même, à l’occasion du sommet de Rome, dans leurs discussions à huis clos, la gravité de la question des abus sexuels.

En face, les victimes sont résolues à ne rien lâcher. «Nous avons parfaitement conscience qu’il faut que nous maintenions la pression», expliqueJean-Marie Fürbringer, abusé quand il était enfant par un religieux capucin. Ce physicien de métier milite à l’association suisse de victimes Sapec, fondée dès 2009, l’une des pionnières en Europe. En 2016, elle a obtenu la mise en place d’une commission d’indemnisation des victimes, une véritable avancée et un cas très rare dans le monde. Jean-Marie Fürbringer, lui, a d’abord commencé seul son combat, il y a presque un quart de siècle. «J’ai écrit une lettre à un juge qui m’a reçu très sympathiquement, raconte-t-il. Mais il m’a dit que c’était trop tard, que c’était prescrit, que l’on ne pouvait plus rien faire. Je n’ai pas eu l’idée à ce moment-là de lui dire qu’il y avait eu peut-être d’autres victimes. Le juge, non plus, ne s’est pas posé la question.»

Le capucin, envoyé un temps en France, avait pourtant commis beaucoup d’autres abus. «L’Eglise est une organisation internationale, poursuit Jean-Marie Fürbringer. Nous victimes, nous avons aussi besoin d’une structure à l’échelle de la planète.» C’est pour cela que le militant suisse soutient activement le développement d’ECA, fondée l’année dernière. L’idée d’une ONG avait été d’abord portée par Barbara Blaine (lire ci-contre), l’une des figures de la lutte contre la pédophilie aux Etats-Unis, morte prématurément avant qu’elle ne fasse aboutir le projet.

Prédateurs

A Rome, les militants contre la pédophilie dans l’Eglise créent, ces jours-ci, entre eux, de nouvelles solidarités. Comme une grande famille d’adoption. Activiste belge, Lieve Halsberghe accompagne et soutient Benjamin Kitobo, un «survivant» congolais qui vit désormais aux Etats-Unis. «J’ai perdu mon innocence à la fin de mes études primaires», raconte celui-ci, abusé quand il était enfant par un prêtre belge, déplacé dans plusieurs pays.

Ces réseaux internationaux qui consistent à protéger des prédateurs, Lieve Halsberghe les connaît bien, assure qu’ils fonctionnent toujours, évoque devant nous le cas de deux prêtres italiens réfugiés au Mozambique. Pour elle, la tolérance zéro dans l’Eglise signifierait le renvoi systématique des abuseurs de leur fonction de prêtre. La mesure existe bel et bien dans les textes du Vatican. Mais pour l’appliquer, c’est encore un long chemin…

Bernadette Sauvaget

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