Tchad : Les démons des actes et des dérives identitaires

Publié le par Evariste DJETEKE

Tchad :     Les démons des actes   et des dérives  identitaires

Musulmans contre chrétiens, nordistes contre sudistes, telle est la rengaine qui gangrène de façon insidieuse les débats de ces derniers temps, assénée par tous les moyens de communication.  « Les saras sont des esclaves et des haineux, les zagawa sont des criminels, les goranes oh lala », etc.  Ces propos fleurissent dans la rue, sur la toile ou dans le secret des salons. Au départ, simple levier de plaisanterie, le repli identitaire et ethnique, sur fond de crise économique et politique, tient désormais de la catharsis sociale.

Ce repli ethnique et identitaire est d’abord démontrer par les actes politiques et administratifs :  l’on estime que le « pouvoir en place  fait des faveurs à une catégorie de personnes issues d’une même région, d’un même groupe d’appartenance ethnique ou partageant des valeurs idéologiques communes en leur accordant des positionnements privilégiés dans les recrutements, les nominations, les appels d’offre et des offres de services. Le mérite au travail et la compétence individuelle ne sont donc plus essentiels ».

Du coup, en 30 ans d’errements, nous n’avons pas avancé d’un iota puisque le discours politique ou social   gravite toujours autour de la fracture identitaire et ethnique, le discours communautariste et les clivages identitaires sont remontés à la surface. Les uns et les autres l’exploitant selon leur point de vue et leurs intérêts.

Si la question du repli identitaire n’est pas nouvelle au Tchad, son instrumentalisation à travers les réseaux sociaux est récente et hallucinante et passe  par le  dénigrement de l’autre pouvant être énoncé directement ou encore se révéler en creux.

 Il y a désormais une pénétration totale du repli identitaire  et ethnique dans la société. Les tchadiens  ne dialoguent plus, ils s'affrontent. Un peuple  divisé du point de vue des rêves, des émotions, des passions et des désirs. Ce peuple  ne regarde plus dans la même direction. Bien au contraire, il s’entre-déchire sous l’effet d’instrumentalisation. Derrière les instrumentalisations ethniques, il y a des enjeux économiques énormes. Et ces enjeux amènent certains hommes politiques  à chercher le contrôle du pouvoir politique, afin de mieux contrôler le pouvoir économique ensuite.

Ces malaises  donnent lieu à la production de nouveaux codes langagiers ( kirdi, Doum, esclave, criminel, sara sakid, Ti chifa, eux et nous, quartier sara, quartier doum, etc.), renvoyant au champ lexical de la différenciation sociale.  Graduellement, cette forme de logique de distinction sociale va se muer en logique de différenciation intra nationale. Ces codes sont diversement interprétés pour servir des idéaux politiques suivant l’appartenance politique ou ethnique des acteurs qui se prononcent sur la question. Alors que  personne ne sait quand une société bascule du discours identitaire à la barbarie. Au Rwanda, en RCA, En Coté d’Ivoire, etc,   les mots ont abouti au bain de sang. Au Tchad, nous avons connu les conséquences du repli identitaire et ethnique en 1979 où le démon de la division ethnique était exorcisé à coups de prières et de kalanichkov.

L'idée de partition, et plus globalement de séparation, trouve sans doute son origine dans la transformation même des conflits socio-économiques et politiques en conflits identitaires, “ethniques”, religieux, ou “ethno religieux.” Le problème identitaire dans notre société, se pose avec une acuité particulière devenant ainsi l’enjeu aussi bien de conflits politiques que de rivalités intellectuelles.

Ce qu’il faut craindre pour demain, au vu de la cartographie électorale, c’est ce repli identitaire, un problème majeur qui serait exploité par certains cercles politiques. Déjà, ils glissent de manière consciente ou inconsciente dans  leurs discours, la référence aux identités, à l’origine ethnique ou religieuse qui sont des dérives et de graves menaces à la cohésion nationale. Les prochaines élections seraient une étape charnière dans l’analyse du mobile discursif derrière l’usage des concepts « identitaires et ethnique » qui semblerait surgir comme un serpent de mer   aujourd’hui. Pure coïncidence? Véracité d’un fait avéré?  Simple répétition ou balbutiement de l’histoire?

 Les antagonismes qui s’expriment autour des notions importantes telles que la définition d’une identité nationale ou encore autour de la notion de vivre ensemble, montrent les lacunes d’une classe politique trop souvent accrochée aux intérêts personnels qu’à la construction d’un Etat et d’une nation moderne. Le concept de citoyenneté tchadienne ou de l’identité nationale  reste encore à construire. Ce débat  s’était  imposé à l’occasion de la Conférence Nationale Souveraine de 1993 mais sans suite.

Pour vivre ensemble, il faut arrêter les engrenages mortifères et la propagande haineuse. Le gouvernement doit prendra toute sa part de ce combat. Il y a urgence. La litanie des stratégies inavouables  pour retarder le vivre ensemble est en marche, à grands pas. Les yeux fixés sur les prochaines échéances électorales, certains multiplient les surenchères indignes couvent toute possibilité d’escalade ethnique.

Le Tchad reste un pays fragile, une illusion de stabilité.  La stabilité  n’est donc que circonstancielle, l’absence de guerre n’est pas pour autant la preuve que tout va bien. Elle pourrait être le calme avant la tempête si les démons continuent par des glissements de langages excessifs et par la manipulation politique de l’identité ou de l’ethnicité.  Le Tchad a besoin de réformes politiques, mais aussi d’un nouveau contrat social. Les tchadiens  ont besoin de se « parler et non plus seulement de parler ». Chaque tchadien doit porter une vision d’un pays apaisé, inclusif de la non-domination, pour construire le « nous » de l’égalité, sans distinction de nos origines, de notre religion, de notre ethnie  ou de notre culture… Gare à la dérive, à la folie identitaire  et à la  promotion de la haine!

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